Courrier international – Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, l’intervention militaire de la Russie en Ukraine va faire mal aux pays très dépendants des importations de blé mais profiter aux pays producteurs de pétrole et de gaz, explique le site panarabe Raseef22.
La guerre russe contre l’Ukraine aura des conséquences non seulement pour l’Europe, mais aussi pour les pays arabes du Moyen-Orient et du Maghreb. Elle provoquera des ondes de choc qui heurteront durement les pays importateurs de blé, mais aussi les clients d’armes russes et ukrainiennes. Et les pays qui abritent des bases militaires russes risquent de se retrouver otages d’une montée des tensions avec l’Occident.
D’un autre côté, les pays du Golfe pourraient profiter de la hausse des prix de l’énergie, et prendre la part du marché jusque-là occupé par la Russie en Europe. Cela leur permettra non seulement d’engranger d’énormes bénéfices financiers, mais également de redorer leur blason aux yeux des Occidentaux.
Bases arrière militaires
La Syrie et la Libye, deux pays déchirés par la guerre, seront les premières affectées par le conflit en Ukraine. En Syrie, où le président Bachar El-Assad, proche allié de Moscou, a immédiatement emboîté le pas à Poutine pour reconnaître les deux républiques séparatistes de Donetsk et de Louhansk dans l’Est ukrainien, la Russie dispose de deux bases militaires [la base navale de Tartous et la base aérienne de Hmeimim] qui pourraient servir dans la guerre en Ukraine.
Et en Libye, où la Russie dispose également de deux bases militaires [à Al-Joufra et à Syrte], la guerre d’Ukraine pourrait remettre en selle le maréchal Khalifa Haftar, dont les relations avec les Américains et les Européens s’étaient sensiblement refroidies ces derniers temps, explique sur la radio allemande [Deutsche Welle, DW] Sami Hamdi, de l’entreprise de conseil géopolitique International Interest.
D’autre part, Moscou pourrait chercher à faire pression sur l’Europe en déclenchant une nouvelle vague de migration en provenance de Libye, selon l’analyste politique italienne Cinzia Bianchi, qui s’est exprimée sur DW.
La dépendance au blé
L’exclusion de la Russie du réseau d’échanges bancaires international Swift toucherait plusieurs pays arabes ayant signé des accords avec Moscou, que ce soit pour l’achat d’armes et de pièces de rechange militaires ou pour d’autres projets, telles que la construction de la centrale nucléaire d’Al-Daaba, en Égypte. Cela toucherait également les exportations vers la Russie, et pourrait tarir l’afflux de touristes [aussi bien russes qu’ukrainiens, très nombreux, notamment pour le tourisme balnéaire en Égypte, mais aussi en Tunisie].
Près d’un quart des exportations de blé dans le monde proviennent de Russie et d’Ukraine, ce qui veut dire que toute perturbation dans ses deux pays provoquera des hausses de prix, ce que l’on constate d’ores et déjà, avec des prix au plus haut depuis une dizaine d’années.
L’Ukraine exporte 95 % de son blé via la mer Noire, selon un rapport du Middle East Institute. Et en 2020, la moitié de ses exportations étaient destinées au Moyen-Orient et à l’Afrique du Nord. Ainsi, près de 40 % du blé importé par le Liban et la Libye provient de Russie ou d’Ukraine, le chiffre est de 20 % pour les importations de blé du Yémen, et de 80 % pour celles de l’Égypte. Ce qui veut dire que la crise actuelle risque d’avoir des conséquences dramatiques pour la sécurité alimentaire de ces pays.
Des répercussions d’autant plus inquiétantes que la situation alimentaire du Moyen-Orient est déjà tendue depuis les révolutions arabes, puis la crise sanitaire. Pour l’ancien conseiller au ministère de l’Approvisionnement et du Commerce intérieur Nader Noureddine, s’exprimant sur la chaîne américaine CNN, les pays arabes devraient enfin tirer les leçons de leur dépendance pour diversifier leurs achats et ainsi s’assurer de pouvoir couvrir leurs besoins en toutes circonstances.
Sources de pétrole et de gaz
En revanche, les pays exportateurs d’hydrocarbures vont bénéficier de la hausse des prix du baril de pétrole, qui a déjà franchi le seuil des 100 dollars, souligne l’analyste politique installé à Washington Atef Abdel Jawad.
L’Égypte, par exemple, a déjà augmenté ses livraisons de gaz vers l’Europe, et on sait que l’Algérie pourrait augmenter ses capacités de production de gaz naturel à hauteur de 7 milliards de m3 supplémentaires à destination de l’Union européenne.
Mais ce sont surtout les pays du Golfe qui vont en profiter, et tout particulièrement le Qatar, deuxième plus grand producteur de gaz après les États-Unis, rappelle un rapport du Middle East Institut à Washington. Une augmentation de sa production de gaz naturel au profit de l’Europe lui permettra non seulement de redorer son blason aux yeux des Occidentaux, mais peut-être aussi d’obtenir la signature d’accords à long terme.
Atef Abdel Jawad ajoute toutefois que le conflit russo-ukrainien constitue également un dilemme pour les pays du Golfe, et les oblige à un savant jeu d’équilibriste entre Moscou et l’Occident.
Les pays du Golfe ont récemment renforcé leurs relations avec la Russie, et certains d’entre eux ont décidé l’achat d’armes russes. Comment pourront-ils se montrer agréables vis-à-vis de la Russie sans se mettre à dos l’Occident ? C’est d’autant plus délicat pour eux qu’ils continuent d’avoir besoin des pays occidentaux pour assurer leur sécurité.”
Aux yeux du journaliste saoudien Adel Al-Homeidan, il n’est pas certain qu’ils prendront fait et cause pour l’Occident et s’opposeront à la Russie. Car, explique-t-il, ils sont toujours marqués par le souvenir de la crise de confiance vis-à-vis de Washington sous le mandat du président américain Barack Obama.
Par ailleurs, Atef Abdel Jawad estime que l’Opep+, qui regroupe les pays membres de l’Opep et dix autres pays producteurs de pétrole, dont la Russie, ne résisterait pas à l’exclusion de la Russie du système Swift et ce même si la Chine venait à compenser une baisse des exportations russes.